Formations et Métiers

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Les défis de l’enseignement et de la formation professionnels face aux mutations des métiers

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Publié le 09-05-2022 dans le quotidien Le Soir d’Algérie par le Pr Baddari Kamel(*)

L’enseignement et la formation professionnels, en tant qu’élément du processus global d’éducation, devraient constituer l’un des maillons solides d’un système d’apprentissage adapté aux besoins de la formation des individus et de l’évolution des métiers.

Partant du fait que chaque métier est en perpétuel manque de compétences à cause de l’évolution remarquable de la technologie et des métiers, l’enseignement et la formation professionnels devraient reposer sur une base qui facilite l’acquisition des connaissances professionnelles, l’amélioration constante et l’adaptation au nouveau contexte dans l’affrontement des défis face aux mutations des métiers. Connu pour être un système d’apprentissage disposant d’un maillage appréciable d’établissements de formation à travers les régions du pays, l’enseignement et la formation professionnels continuent à se heurter à des difficultés qui phagocytent ses mérites. On peut citer au moins l’hésitante communication du secteur qui ne mobilise suffisamment pas les matériaux nécessaires pour l’attractivité de ses cursus de formation. Plus que jamais, il demeure indispensable que l’enseignement et la formation professionnels élaborent une organisation autour d’une gouvernance mieux adaptée, un pilotage de l’offre de formation en fonction de l’évolution des métiers et des attentes, de la formation continue des enseignants, de l’articulation avec l’université et, enfin, par des voies diverses d’encouragement du privé à prendre sa part dans la formation professionnelle.

 

élaborer des programmes professionnels pour un monde moderne

 

Les exigences en matière de compétences professionnelles sont volatiles en raison des changements technologiques rapides faisant de telle sorte que de nombreux programmes de formation ne parviennent plus à répondre aux besoins du marché du travail, et c’est la raison pour laquelle qu’au XXIe siècle, l’employeur a besoin de recruter des compétences professionnelles immédiates, adaptables à différents emplois et disposant de la capacité et du désir d'apprentissage tout au long de la vie. Face à ce défi, une vision qui place l’enseignement et la formation professionnels à la haute marche au même titre que l’éducation nationale ou l’enseignement supérieur est indispensable pour le développement des talents ayant l’aptitude de créer des entreprises, d’exercer une profession avec la capacité de poursuivre des études ; mais aussi qui fasse du directeur d’un établissement de formation professionnelle un véritable manager ; autrement dit, un responsable tourné vers la performance et l’efficience.

Les experts affirment que la majorité des «métiers d’avenir» ne sont pas encore connus. À l’horizon 2030, voire 2035, en raison du retard pris pour cause de Covid, on estime à 80% des métiers dont l’économie aura besoin et qui ne sont pas encore connus ! C’est la raison pour laquelle un pilotage d’ensemble est indispensable dans l’affrontement de la complexité de la situation qui se dessine. À ce propos, l’élaboration ou la révision de la carte nationale d’enseignement et de formation professionnels dans l’ajustement des métiers existants et l’intégration de nouveaux métiers est nécessaire. Le concours de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale à la fois dans l’élaboration ou l’enrichissement de cette carte est également souhaité. La modernisation des infrastructures et la planification d’acquisition à terme de nouveaux outils et procédures de travail modernes est aussi un volet important à prendre en charge tout comme l’appropriation de la pédagogie innovante qui favorise l’autonomie de l’apprenant. Les programmes de formation devront tenir compte de deux facteurs complémentaires : la verticalité et l’horizontalité. Le premier pour l’approfondissement de l’apprentissage et le second pour l’enrichissement des compétences. Ils devront être conçus selon le principe de l’approche par compétence où la conception de tout programme professionnel doit suivre la succession suivante : le référentiel de métiers, le référentiel de compétences, le référentiel de formation et le référentiel d’évaluation. Enfin, il faut insister sur le principe de l’offre et de la demande qui fait en sorte que le chef d’un établissement d’enseignement et de formation professionnels doit s’engager dans la conception des conditions de dialogue permanent avec le secteur employeur pour la maîtrise de ses attentes en termes de métiers à valeur ajoutée, mais être aussi au plus près des avancées de la science et de la technologie. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’avoir une vision globale et une gouvernance fortement imprégnée du devenir de la société pour conduire ces changements.

 

L’impérieuse nécessité de valoriser l’enseignement et la formation professionnels

 

Il n’est point besoin de statistiques pour montrer que peu de ceux et de celles qui entament leurs études au cycle moyen ou au secondaire songent à s’orienter vers la formation professionnelle, alors que des emplois de toute nature sont dépourvus dans tous les secteurs et branches d’activités de l’économie nationale. Si l’explication demeure dans cette aspiration qu’a l’Algérien de poursuivre des études longues, héritée de la privation à l’éducation par le colonisateur jusqu’en 1962, il n’en demeure pas moins que l’explication est à chercher en partie au niveau institutionnel. Les actions entreprises naguère n’ont pas réussi ou sont restées insuffisantes pour valoriser le secteur de la formation professionnelle. Les structures physiques sont restées en l’état, non modernisées pour la majorité d’entre elles. Le secteur est resté recroquevillé dans sa sphère, sans réelles perspectives d’ouverture vers son environnement socio-économique pour améliorer et valoriser son produit. Ce passif fait que des solutions urgentes s’imposent. Il faut, pour ce faire, réunir toutes les conditions pour que le secteur puisse entamer les ajustements nécessaires à sa convoitise par les jeunes en y réunissant les fondamentaux, à savoir la modernisation de ses structures et l’élaboration de programmes de formation attractifs et adaptés aux véritables attentes exprimées par l’économie nationale. Les métiers classiques de l’industrie, de l’habitat ou du tourisme continueront d’être prioritaires comme d’ailleurs le développement de nouvelles spécialités dans des disciplines très pointues de niveau 5 telles que l’intelligence artificielle, la robotique, la pose et la maintenance des câbles numériques sous-marins, les voitures hybrides et électriques… et aussi les métiers de mise en œuvre de l’industrie 4.0. Dans le volet diplômation, la valorisation de l’enseignement et de la formation professionnels portera sur le classement et la certification des diplômes délivrés. Ceci ne devra pas occulter les métiers classiques qui devront aussi bénéficier d’une modernisation tant dans le contenu que dans la forme. Cette attention toute particulière à la formation professionnelle vient du fait qu’elle est l’un des secteurs vitaux pour le développement économique du pays.

Dans cette nouvelle dynamique de formation, la mise en place au niveau de la structure centrale d’un cabinet d’ingénierie d’enseignement et de formation professionnels serait appréciable. Il aura notamment pour rôle la transmission de conseils de management aux différents établissements d’enseignement et de formation professionnels qui en auront exprimé le besoin.


L'indispensable articulation université-formation professionnelle

 

La concurrence économique mondiale a toujours suscité auprès des pays le besoin de rivaliser sur la qualité des biens et des prestations de services. Cette rivalité requiert la disponibilité d’un capital humain doté à la fois de compétences techniques et professionnelles de niveau intermédiaire au côté de compétences managériales et scientifiques associées à la formation universitaire. Il y a donc une complémentarité entre la formation professionnelle et l’enseignement supérieur. L’élaboration d’une carte nationale de formation entre les institutions universitaires et les établissements d’enseignement et de formation professionnels avec la participation de l’éducation nationale est plus qu’indispensable à la réussite d’une planification des effectifs en fonction des besoins des secteurs et branches d’activités de l’économie nationale ; mais aussi dans la décision d’une stratégie commune portant sur la complémentarité des programmes des formations professionnelles et des spécialités universitaires.
Il faut viser les métiers et les spécialités à forte adaptabilité en adéquation avec les besoins de l’économie par la formation de diplômés sans «déficit horizontal de compétences». On lit à ce propos dans le communiqué du Conseil des ministres présidé par le président de la République Abdelmadjid Tebboune du dimanche 17 octobre 2021, qu’il faut : «Assurer la cohésion entre les programmes de formation professionnelle et de l’enseignement supérieur dans le cadre du plan de développement national, notamment dans les secteurs prometteurs…» Ce plan exige la connaissance approfondie du secteur de l’emploi et ses perspectives, et devra tenir compte de l’écart existant entre la formation professionnelle et l’enseignement supérieur. Partant du constat de la situation, les questions suivantes serviront à élaborer ce plan : compte tenu des axes de développement des entreprises, quelles sont les évolutions prévisibles en termes de besoins de compétences ? Quels sont les métiers qui vont évoluer, ou disparaître ? Quelles sont les mesures d’anticipation à prendre pour la formation ou la mise à niveau des personnes actuellement dans ces métiers ? Quels sont les métiers qui vont émerger à court, moyen ou long terme ? Comment faire évoluer en interne des personnes vers ces nouveaux métiers ? Comment rapprocher la formation professionnelle et l’enseignement universitaire ? Quelles sont les spécialités dispensées à l’université qui pourraient être assurées par la formation professionnelle ? Comment relancer le dispositif de la valorisation des acquis d’expériences afin de permettre à des diplômés de la formation professionnelle d’accéder à l’enseignement supérieur, mais aussi inversement quel profil d’étudiants de l’université pourrait être orienté vers la formation professionnelle ? Ce sont là des questions fondamentales qui pourraient constituer une plateforme de réflexions entre les différents acteurs de la formation et de l’enseignement dans le pays pour rendre effective l’articulation université-formation professionnelle dans l’effort qu’ils sont censés réaliser pour le renforcement des acquis et le développement économique du pays.

 

L’indispensable articulation public-privé dans le domaine de la formation professionnelle

 

Face à la massification des effectifs, le secteur public ne peut à lui seul satisfaire toutes les demandes de formation professionnelle en constante progression ; l’école privée doit prendre sa part pour surmonter ce défi pour peu qu’il y ait un cadre juridique fixant les droits et les devoirs de ces écoles. Si le privé n’est pas fortement imprégné de l’idée de la nation ou en l’absence de sollicitations, il n’agira qu’en fonction de ses intérêts propres. Il appartiendra alors à l’institution de formation professionnelle d’exercer un pilotage et une régulation efficaces dans la perspective de préserver les intérêts de chaque partie. Il faut en particulier associer le privé dans l’élaboration de la carte de formation professionnelle et dresser le référentiel des spécialités qui pourrait lui être confié. Les entreprises publiques et privées ont beaucoup à gagner en participant au processus de formation des ressources humaines dans des profils d'employés dont elles auront réellement besoin. Elles ne doivent plus rester passives et attendre que le système de formation mette sur le marché des profils d'employés dont elles n'ont pas nécessairement besoin. C’est ce que font quelques entreprises en créant leurs propres centres de formation ad hoc. Cette contribution permettra, outre de réaliser la formation de ses propres personnels, d’œuvrer à relever le défi de la massification des effectifs si elle s’adresse aussi à toute personne désireuse d’acquérir une formation.

 

Conclusion

 

 

Incontestablement, l’enseignement et la formation professionnels ont fait de réels progrès mais, quelle qu’en soit l’ampleur, ces progrès n’ont pas empêché la persistance de quelques défis liés principalement à la complexité du système de formation sur lequel ils se fondent. Face à ces défis, la nouvelle stratégie à imprimer pour l’enseignement et la formation professionnels devra tenir compte de la volatilité des compétences motivées par des changements technologiques rapides touchant tous les secteurs, et font qu’au XXIe siècle, celles et ceux qui entrent sur le marché du travail ont besoin de compétences professionnelles adaptatives à différents emplois. À terme et face à la massification des effectifs qui semble ne pas infléchir dans un avenir proche, l’État ne pourra continuer à être le seul pourvoyeur de formation car, dans une économie de marché moderne, la conception d’une politique de formation professionnelle et sa mise en œuvre devraient reposer sur un solide partenariat entre l’état et les entreprises publiques et privées ainsi que les écoles et/ou centres de formation. Sans se départir de son rôle de pourvoyeur de technicité, l’état interviendra dans ce partenariat à des fins d’orientation tout en lui inspirant une vision, et à faire en sorte que l’accès à l'enseignement et à la formation professionnels soit garanti à tous. Bien évidemment, un cadre législatif cohérent doit précéder ce partenariat.
La formation et l'enseignement professionnels ont un lien réflexif avec le développement technologique. Si la technologie est considérée comme indispensable à la modernisation et au développement de l’économie du pays, elle ne peut atteindre cet objectif sans l’existence de compétences nécessaires à l’effet, que seule la formation professionnelle peut lui fournir au côté de l’enseignement supérieur.

 

B. K.

(*) Professeur des universités. Expert en enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Expert en conduite de changement. Université Mohamed-Boudiaf de M’sila.



10/05/2022
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