Nordine Bedoui, ministre de la formation et de l'enseignement professionnel au forum de "Liberté"
Actualité Lundi, 22 Septembre 2014 09:50
Nourredine Bedoui, ministre de la Formation et de l’enseignement professionnels, hier au forum de “Liberté”
“Pas d’économie sans une ressource humaine qualifiée”
Par : Mohamed-Chérif LACHICHI
La plupart des formations proposées actuellement par le secteur dont a la charge M. Bedoui étaient, il n’y a pas si longtemps encore, acquises essentiellement par “un apprentissage sur le tas”. Que s’est-il passé depuis ?
À une semaine de la rentrée du secteur de la formation professionnelle et à la veille même de la clôture des inscriptions, le forum de Liberté a reçu, hier, Nourredine Bedoui, ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnels qui est venu faire un état des lieux de son secteur et évoquer son évolution ainsi que ses perspectives de développement. D’emblée, le ministre a tenu à se féliciter de l’existence du Forum de Liberté qui, pour lui, représente “un espace de rencontres, d’échanges et d’informations qui a su se frayer un chemin en instaurant une tradition très louable sur la scène médiatique nationale”. Évoquant ensuite la rentrée du secteur de la formation et de l’enseignement professionnels fixée au 28 septembre prochain, le ministre estime qu’il s’agit d’“un événement important” avant d’égrener quelques chiffres en appui à ses propos. “Il s’agit d’un réseau de 1 200 établissements, de 20 000 formateurs encadrant plus de 600 000 stagiaires, apprentis et élèves, et ce, dans près de 420 métiers ou spécialités, relevant de 22 branches professionnelles.” On apprendra qu’en matière d’ingénierie pédagogique et de formation de formateurs, le secteur dispose d’un réseau de six instituts de formation et d'enseignement professionnels implantés à Annaba, Sétif, Ouargla, Médéa, Sidi Bel-Abbès et Alger. La capitale dispose également d’un institut national (INFEP) chargé de la coordination de ces activités d’ingénierie pédagogique et de la validation des programmes de formation.
Une démarche politique
“La ressource humaine qualifiée est une priorité dans la démarche politique des pouvoirs publics”, précise M. Bedoui qui note qu’“aucun projet économique ne peut réussir sans cette condition”. Le ministre fonde de grands espoirs notamment sur une rencontre tenue récemment à la résidence d’État Djenane El-Mithaq, laquelle a regroupé pas moins de 14 départements ministériels dits “techniques” ainsi que des organisations patronales et la Centrale syndicale UGTA. Un accord-cadre a été ainsi signé à l’issue de cette rencontre, première du genre, souligne le ministre qui se réjouit de l’existence d’une vraie “prise de conscience” que la qualification pour un métier est “à la base de la réussite des différents plans de développement économiques”. La présence même du patronat, perçue comme “un élément fondamental”, de la Centrale syndicale, “eu égard à ses responsabilités en matière de préservation d’emplois”, ainsi que les ministères techniques “engagés dans le plan quinquennal est, pour lui, “une mobilisation sans précédent” qu’il convient de saluer. C’est même une question de “solidarité nationale”, estime-t-il. “La problématique de la formation et de la mise à niveau de la ressource humaine est posée, aujourd’hui, avec beaucoup plus d’acuité.” Le ministre a fait écho à une situation où l’on assiste à “une crise de main-d’œuvre” sans précédent. L’Algérie dispose, en effet, de moins en moins de maçons, de carreleurs, de plombiers, de menuisiers, de coiffeurs, etc. Et la liste est loin d’être exhaustive.
Pourtant, ce ne sont pas les jeunes, en quête de perspectives, pleins de vitalité, capables de devenir de véritables acteurs du développement, qui manquent dans notre pays. Est-ce donc la pénibilité de ces métiers qui pose problème ? Pour le ministre, cette dévalorisation des métiers manuels, une tendance mondiale s’il en est, tient surtout à “la société algérienne qui inculque dans l’esprit de nos jeunes que la formation professionnelle est le dernier moyen pour réussir dans la vie”.
Mieux vaut avoir de la “chance”…
Il est vrai que pour les jeunes (et autant, d’ailleurs, pour les aînés), la réussite dans ce pays ne tient plus seulement à des efforts personnels ni à des qualités intrinsèques. “Mieux vaut avoir de la chance que se lever tôt”, semble être le nouveau leitmotiv des Algériens.
De nos jours, nos jeunes préfèrent s’adonner à l’achat et à la revente ou même à percevoir une “tchipa”, plutôt que de “se tuer à la tâche” dans un vrai labeur.
Cet état de fait, ô combien préjudiciable, a pris des proportions telles qu’il remet en cause aujourd’hui les fondements mêmes du pays. La rente énergétique et la propension de l’État-providence à distribuer ses “prébendes” a fini par tuer l’âme de toutes les professions.
Les subventions à la consommation et autres dispositifs destinés à acheter la paix sociale semblent exonérer définitivement les Algériens à fournir le moindre effort afin de bâtir leur propre avenir, en toute indépendance ! Nos jeunes ont ainsi largement perdu “la soif d’apprendre”. Désormais, vivre aux crochets de la société est la chose dont on rêve depuis qu’on est gamin en Algérie. Toucher un salaire à ne rien faire, percevoir un prêt qu'on ne rembourse pas, vivre sans produire confèrent une meilleure appréciation de la richesse, mieux que celle obtenue par l’effort. Vivre d'expédients et de la débrouille est devenu, semble-t-il, le summum de la réussite dans ce pays en perte de valeurs et de repères. Certaines situations et discours qui consacrent l’impunité sont considérés comme une véritable “incitation au vol”. Les détournements des fonds alloués notamment dans le cadre du dispositif de l’Ansej sont une pratique courante, largement tolérée par les pouvoirs publics si ce n’est qu’ils l’encouragent parfois ouvertement.
Et si l’on additionne aujourd’hui la somme des valeurs ajoutées (hors hydrocarbures), on peut s’apercevoir que l’Algérie est l’un des pays qui produit le moins de richesses au monde. Et qui travaille donc le moins. Bien sûr qu’on ne peut pas jeter la pierre uniquement aux autorités puisque les familles privilégient, elles aussi, la théorie et l'abstraction de l'université aux travaux manuels et à l'apprentissage pratique.
De même que ce ne sont pas le nombre d’infrastructures d’accueil qui susciteront chez nos jeunes le “déclic”, cette étincelle qui fait que l’on se passionne pour un métier en dehors du confort climatisé des bureaux.
D’ailleurs, la plupart des formations proposées actuellement par le secteur dont a la charge M. Bedoui, étaient, il n’y a pas si longtemps encore, acquises essentiellement par “un apprentissage sur le tas”.
Impliquer les sociétés étrangères présentes en Algérie
Invité à donner son explication sur cette situation lamentable, le ministre n’a pas manqué de livrer son sentiment. “Ceci est un constat personnel qui n’engage que moi. Dans certaines régions, on s’intéresse à certains métiers alors que c’est l’inverse ailleurs.” Le ministre note ainsi que les régions pourvoyeuses de main-d’œuvre sont, la plupart du temps, situées à “l’intérieur du pays”. D’après lui, le problème se pose essentiellement en milieu urbain pour ne pas dire citadin. Par conséquent, il s’agit, selon lui, d’engager une réflexion qui prendrait en charge le rôle de la formation professionnelle dans la mise en œuvre d’un développement local équilibré et harmonieux.
Enfin, M. Bedoui ne veut pas se résoudre à l’idée que nombre d’offres d'emplois proposées ne trouvent pas preneur parmi les nationaux, ce qui impliquerait, dès lors, l’importation (encore elle !) d'une main-d'œuvre étrangère. “Il est intolérable qu’on ramène des travailleurs avec des métiers qu’on peut former ici-même”, insiste le ministre.
Il rappellera, à cet égard, une instruction du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, qui aurait mis en demeure certains responsables qui considèrent que seul l’argent est nécessaire à la réussite du projet. “Il s’agit d’une instruction importante puisqu’elle comporte l’obligation pour les sociétés étrangères implantées dans notre pays de se soucier davantage de la qualification du personnel et du transfert de technologie.” Le ministre citera, à ce sujet, plusieurs projets de “coopération”, en cours ou à venir, dans ce domaine avec “des sociétés étrangères qui travaillent et font des profits dans notre pays”. “Nous devons profiter de leur expérience et de leur savoir-faire en les faisant participer.” Il révélera, à titre d’exemple, que dans le domaine du BTP, un engagement a été pris par son secteur de former 70 000 ouvriers. “Cela n’est pas suffisant mais nous avons pris le pari de réussir et de mettre à la disposition de nos entrepreneurs une main-d’œuvre hautement qualifiée.” L’invité de Liberté a montré également son intérêt pour le secteur du tourisme et celui de l’agriculture, des secteurs “techniques” en attente d’une ressource humaine formée et qualifiée aux normes mondiales. “Nous voulons même élargir cette vision au secteur énergétique. Les métiers d’enginiste, de soudeur et de sondeur sont, par exemple, des métiers très demandés dans le sud du pays. Il s’agit de répondre par la même occasion aux demandes d’emploi des citoyens du Sud.” Ainsi, d’après lui, les partenaires économiques de Sonatrach ou d’une manière générale, toutes les sociétés étrangères qui interviennent dans le domaine énergétique sont invitées à être plus “actives” dans le domaine de la formation professionnelle. “Il faut que nous soyons plus offensifs plus imaginatifs. Nous nous sommes interdits de créer telle ou telle nouvelle spécialité. Nous restons surtout à l’écoute et à la disposition du monde économique et des régions en général.” Il reste que loin de ce tableau sombre et histoire de terminer sur une note optimiste, le ministre fera valoir l’existence de “success-stories”, de jeunes issus de centres de formation professionnels qui ont réussi à créer des entreprises viables dans le cadre de l’Ansej
Il appellera précisément les médias à faire en sorte que de telles réussites puissent constituer, à l’avenir, des exemples à suivre. Mais, hélas ! Chacun sait qu’il s’agit là de cas marginaux et insignifiants et cela compte tenu des sommes colossales englouties par les différents dispositifs d’aide à l’emploi dont il convient aujourd’hui de dresser vite un premier bilan.
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